Par un arrêt rendu le 23 mars 2017, la Cour de Cassation clarifie les conditions d’indemnisation des victimes par ricochet qui présente une invalidité induite par la disparition de leur proche, victime directe. Cette décision pourrait paraître anodine tant le raisonnement juridique développé est clair, mais sa portée est en réalité extrêmement importante.
Selon la nomenclature Dintilhac, en cas de décès de la victime directe, la victime par ricochet peut prétendre à l’indemnisation de deux postes de préjudice extra patrimoniaux : le préjudice d’affection et le préjudice d’accompagnement.
Le premier est défini comme le préjudice « que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe. Il convient d’inclure, à ce titre, le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ».
Et le second, qui a vocation à exister lorsque la victime directe a survécu quelques temps avant de succomber, tend à « réparer un préjudice moral, dont sont victimes les proches de la victime directe pendant la maladie traumatique de celle-ci jusqu’à son décès. Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser les bouleversements que le décès de la victime directe entraîne sur le mode de vie de ses proches au quotidien ».
Il convient d’ailleurs de rappeler que s’agissant des préjudices subis par une victime par ricochet, et contrairement à ceux subis par une victime directe, la nomenclature distingue uniquement les postes extra patrimoniaux des postes patrimoniaux, sans procéder à une sous-distinction temporelle fondée sur la date de consolidation.
Dans le cas particulier d’une victime par ricochet qui présente une pathologie spécifique ensuite du décès de la victime directe (tels une dépression réactionnelle ou un deuil pathologique stricto sensu), il est habituel de raisonner comme pour une victime directe en sollicitant d’abord une expertise médicale à fin d’évaluation des préjudices subis conformément à la nomenclature Dintilhac applicable à une victime directe.
Or, lors de l’évaluation de l’indemnisation, nombre de régleurs, pour ne pas dire tous les régleurs, considèrent que la victime par ricochet ayant intellectuellement basculé « sous le régime de la victime directe » ne peut prétendre qu’à la réparation de ces préjudices-ci.
En effet, les postes de préjudices extra patrimoniaux ainsi évalués par un expert (comme les souffrances endurées ou le déficit fonctionnel permanent) ne seraient alors « uniquement» l’expression détaillée d’un préjudice d’affection…
A l’appui de cette argumentation, il est prôné que la définition proposée par la nomenclature précise expressément que « le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches» est inclus au titre du préjudice d’affection. Aucune raison donc, selon les régleurs et notamment le Fonds de Garantie, de procéder à l’indemnisation de TOUS les préjudices subis par la victime par ricochet… Et ce, en dépit de constations médico-légales étayées !
La Cour de Cassation par cet arrêt de principe publié au Bulletin adopte le raisonnement inverse en considérant que la Cour d’appel a, à juste titre, énoncé que « Les préjudices subis par les proches d’une victime peuvent être de deux ordres, les uns subis dans leur propre corps, les autres résultant du rapport à l’autre, le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées relevant du premier ordre, le préjudice d’affection du second ».
Puis en rappelant les conclusions du rapport d’expertise et les doléances de la victime expressément visées par les juges du fond à l’appui de leur argumentation, la Cour de Cassation a considéré que « la Cour d’appel, qui a ainsi caractérisé l’existence, en l’espèce, d’un préjudice d’affection résultant de la douleur d’avoir perdu son conjoint, distinct de celui résultant de l’atteinte à son intégrité psychique consécutive à de décès réparé au titre des postes des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent, n’a pas, en allouant la somme critiquée, indemnisé deux fois le même préjudice ».
Ainsi, la Cour de Cassation affirme avec limpidité que les souffrances découlant de la pathologie développée par le proche ensuite du décès, qui sont réparées avant consolidation au titre des souffrances endurées puis après consolidation au titre du déficit fonctionnel permanent, sont distinctes de la douleur morale induite par la perte même du défunt qui, elle, est réparée au titre du préjudice d’affection.
Dès lors, par une application stricte et juste du principe de réparation intégrale, les victimes par ricochet recevables à agir peuvent prétendre à l’indemnisation de leur préjudice d’affection et dans le cas où leur situation personnelle est plus complexe, elles peuvent également prétendre à la réparation autonome de tous leurs préjudices découlant d’une invalidité subséquente aux décès.
Par Anaïs RENELIER