Pour approfondir la réflexion sur le sort des victimes d’accidents du travail
Une large partie de « vivants » blessés au travail, porteurs de lourds handicaps du fait d’un accident ou d’une maladie dus à la faute inexcusable de leur employeur n’a pas accès à l’indemnisation intégrale de ses dommages corporels.
Ces victimes doivent se contenter d’une indemnisation forfaitaire calculée selon les règles posées par le code de la sécurité sociale article L452-1 et suivants et qui reposent sur des grilles préétablies en fonction du salaire du blessé et en dehors de toute réalité individuelle.
A titre d’exemple on constate les écarts suivants pour une même victime de maladie professionnelle faute inexcusable selon qu’elle bénéficie d’une réparation intégrale ou de la stricte application du Livre IV du code de la sécurité sociale :
– indemnisation au titre de l’AT : 61 266€
– indemnisation au titre du droit commun : 745 042€
La nécessité de l’aide d’une tierce personne calculée en droit commun d’après le nombre d’heures de présence nécessaire et le coût réel de ce service n’est pris en compte par le régime d’AT qu’à partir d’un « seuil » d’invalidité, sans analyse des besoins réels et indemnisé par « une majoration barémisée » de la rente AT, sans rapport aucun avec le coût réel de cette aide.
A titre d’exemple et pour une victime ayant recours à une tierce personne 24 heures sur 24, elle peut obtenir en droit commun une rente mensuelle de 14 826€, 100% de ses besoins sont couverts, alors qu’en AT elle obtient 1 038,36€ représentant 7% de couverture des besoins !
Cet aspect de la réparation de la victime est essentiel.
Cette inégalité de traitement incompréhensible sur le plan de l’équité a été dénoncée depuis des années. Elle n’a jamais été corrigée.
Est-il moins important de « réparer les vivants » à 100% (de leur dommage) que les boutiques saccagées ?
C’est pourtant le sort réservé à une large partie de « vivants » blessés au travail en application d’une législation remontant à plus de 100 ans alors destinée à les favoriser… Seraient-ils des sous-hommes dont la vie aurait moins de valeur que celle des autres citoyens ?
Il s’agit essentiellement de travailleurs manuels blessés sur des chantiers ou atteints de pathologies en lien avec leur travail. Sont-ils frappés d’une « capitis diminutio » et leur corps vaut-il 100 fois moins que celui des autres ?
Si l’interprétation correcte ou non d’un texte aboutit à une inégalité de traitement aveuglante, reconnue par un grand nombre qui refuse de considérer que la victime du travail « vaut » 10-100 ou 1000 fois moins qu’une victime d’autre cause, c’est que la loi plus que centenaire n’est plus adaptée aux situations actuelles et à l’évolution du droit commun qui indemnise de manière de plus en plus précise, détaillée et complète tous les aspects des dommages subis.
Pour remédier à cette situation deux voies sont ouvertes : judiciaire ou législative.
Un revirement de jurisprudence qui considèrera que l’indemnisation des accidentés du travail par la législation qui leur est applicable ne répare pas l’intégralité de leur préjudice, si bien que le responsable de leur dommage – l’employeur convaincu d’une faute inexcusable – doit prendre à sa charge une indemnisation complémentaire, pour laquelle il lui sera fait obligation de s’assurer.
Nos hauts magistrats de la Cour de cassation ont su, et savent toujours revenir sur une analyse de texte devenue incompatible avec des situations nouvelles. Nous venons d’en avoir un admirable exemple par l’arrêt du 5 avril 2019 reconnaissant aux travailleurs de l’amiante le droit à réparation de leur préjudice d’anxiété (en l’absence même de maladie déclarée, pour avoir été exposés à un risque élevé de contamination par des poussières d’amiante).
La Cour justifie ainsi son rôle de créateur du Droit et se grandit sans se renier.
La seconde solution, plus claire encore et pérenne passe par la loi.
Modifions les articles L452-1 et suivi du code de la sécurité sociale dans les termes suivants qui ne présenteront plus d’ambiguïté :
Ne venez pas nous dire qu’il est difficile et long de légiférer, nos gouvernants font de la loi quotidienne une réponse à chaque évènement irritant : voyez la loi anti casseurs censée donner aux citoyens un apaisement immédiat quasi miraculeux.
Elle a été élaborée en quelques jours, votée dans la foulée, à peine recadrée par le conseil constitutionnel et nous voilà dotés, parait-il, d’un nouvel outil.
Chacun jugera de son utilité mais pour ce qui nous concerne, l’utilité est criante, l’urgence l’est tout autant, sa réalisation est simple.
Reste une seule question : face à cette situation dénoncée depuis de nombreuses années et qui lèse des milliers de citoyens victimes de leur activité professionnelle par la faute inexcusable de leur « patron », pourquoi se heurte-t-on à une telle indifférence, mauvaise volonté, ou pire encore un tel refus d’agir ?
Qui est épargné ? Ceux qui ne payent pas ce qu’ils doivent à leur victime : les employeurs ? Oui ou plus exactement les sociétés d’assurances qui dans la plupart des cas couvrent ce risque.
Si tel n’est pas le cas, demandons leur de soutenir notre combat, alors nous verrons ce que vaut notre hypothèse.
Aline BOYER, Avocat Honoraire