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L’égalité absolue est le comble de l’injustice.

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Incohérence et de la stupéfaction décrite dans cette actualité publiée par le cabinet A'CORP situé à Paris
Florence Boyer,  Jurisprudence

INCOHERENCE DE L’IN/COMPÉTENCE

INCOHERENCE DE L'IN/COMPÉTENCE

Il s’agit d’une question complexe que je souhaite soumettre à la sagacité de nos lecteurs afin que leur brillante réflexion éclaire l’abime de perplexité qui m’accable depuis que le Juge de la mise en état de Bobigny a rendu trois décisions incohérentes à mon sens.

Les textes applicables :

– l’article 102 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, instaurant un régime de présomption légale d’imputabilité au bénéfice des transfusés contaminés par le virus de l’hépatite C.

– l’article 15ordonnances du 1er septembre 2005 qui confie au seul juge administratif l’entier contentieux des contaminations post transfusionnelles pour toutes les affaires nouvelles c’est-à-dire qui n’auraient pas été introduites devant le juge judiciaire avant son entrée en vigueur, ou plus exactement qui ne seraient pas pendantes devant le juge judiciaire avant son entrée en vigueur.

Le contexte :

La contamination par le virus de l’hépatite C (VHC) post transfusionnelle de trois hémophiles traités dans les années 80 par facteurs de coagulation. L’origine transfusionnelle de leur contamination est indubitable (je ne reviens pas sur la présomption d’imputabilité instaurée par l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 précité).

Dans ces trois dossiers concernant des hémophiles, trois ordonnances du juge judiciaire des référés (Tribunal de grande instance de Paris en l’espèce) rendues avant le 1er septembre 2005 avaient accordé aux demandeurs une provision à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice corporel définitif.

Pour l’un des trois demandeur, une situation particulière est à signaler (pour faciliter la compréhensions nous le désignerons par : dossier n°1) :
en parallèle de la procédure de référé provision (TGI), une procédure au fond était en cours devant les juridictions administratives. (je n’entre pas dans le détail, mais ceci résulte de la situation qui prévalait antérieurement à l’entrée en vigueur des ordonnances de septembre 2005 et qui entraînait que ces contentieux étaient dispatchés entre juge administratif et juge judiciaire en fonction de la nature juridique du centre de transfusion sanguine concerné : personne privée ou personne publique).
Le Tribunal administratif ayant débouté la victime n°1 de sa demande d’indemnisation en raison de son incompétence (le centre fournisseur s’étant révélé en cours d’expertise n’être autre que le CNTS : personne privée, association loi 1901), un appel conservatoire avait néanmoins été formé devant la Cour administrative d’appel de Paris (CAAP).
Ce recours a prospéré et a été appelé à une audience dont la date est postérieure à l’entrée en vigueur de l’article 15 de l’ordonnance 2005.
Selon toute logique, la Cour aurait dû se déclarer compétente et statuer sur les préjudices subis par cet hémophile.
Il n’en a rien été et la CAAP a débouté l’appelant en se déclarant incompétente et aux motifs suivants :

« les transfusions litigieuses sont intervenues avant le 1er janvier 2000 ; qu’ainsi nonobstant le transfert des droits et obligations de la FONDATION NATIONALE DE LA TRANSFUSION SANGUINE, personne de droit privée, à l’ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, personne de droit publique, en application des dispositions de l’article 60 de la loi du 30 décembre 2000 susvisée, seules les juridictions judiciaires étaient compétentes pour connaître d’une action en responsabilité dirigée contre cette personne publique du chef de cette contamination avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée ;

Que, saisi par Monsieur 1 le 12 août 2003, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de PARIS a, par une ordonnance du 24 octobre suivant, jugé que la créance de l’intéressé vis-à-vis de l’ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG venant aux droits de LA FONDATION NATIONALE DE LA TRANSFUSION SANGUINE, n’était pas sérieusement contestable et condamné l’ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG à lui verser une indemnité provisionnelle de 30.000 € ;

Qu’ainsi, les juridictions judiciaires peuvent être regardées comme ayant été compétemment saisies d’une demande d’indemnisation antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er septembre 2005 au sens des dispositions sus rappelées de l’article 15 de ladite ordonnance nonobstant les circonstances que cette saisine soit intervenue après la décision prise en premier ressort par une juridiction administrative et que la R, qui n’est que subrogée dans certains droits de Monsieur 1 ne se soit pas associée à cette action ;

Que dès lors, la responsabilité de L’ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG ne peut être recherchée du chef des transfusions litigieuses devant la juridiction administrative en tant qu’il vient aux droits et obligations de la FONDATION NATIONALE DE TRANSFUSIONS SANGUINES.


Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise complémentaire, que Monsieur 1 et la R ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de PARIS a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l’ASSISTANCE PUBLIQUE – HÔPITAUX DE PARIS et de l’ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG à la réparation des conséquences dommageables de la contamination de Monsieur 1 par le virus de l’hépatite C »

STUPÉFACTION !

Stratégie :

Si l’on comprend bien le juge administratif d’appel, la simple saisine du juge des référés pour une demande de provision équivaut à la saisine valable du juge judiciaire antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 15 de l’ordonnance 2005.
En toute “logique” la victime doit donc solliciter du juge judiciaire la liquidation de ses préjudices.

Or, le dossier n°1 n’était pas unique, puisque deux autres hémophiles VHC + s’étaient vus allouer des provisions par le juge de référé judiciaire antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 15.

Seule différence avec le dossier n°I : aucun recours au fond n’avait encore été introduit pour l’un et l’autre.

Saisissant cette occasion d’échapper au monopole du juge administratif sur le contentieux VHC post transfusionnel, il a été décidé de déposer pour ces trois victimes, présentant une similarité criante de situation, une assignation au fond devant le TGI de Bobigny pour solliciter l’indemnisation de leurs préjudices.

Incohérence n°1 :

Alors qu’il semblait logique, en raison de la similitude de ces trois dossiers de les faire venir à une même audience de mise en état ; ils ont finalement été enrôlés à deux audiences différentes.

Incohérence n°2 :

Pour ces trois dossiers, l’EFS, défendeur principal, n’a JAMAIS soulevé in limine litis la question de l’incompétence du juge judiciaire. Les assureurs appelés en garantie par l’EFS se sont également alignés sur cette position à l’exception de l’un d’entre eux, qui dans le dossier n°3 a cru bon de soulever l’incompétence du TGI par le biais d’un incident.

Sans doute ne l’aurait-il pas fait si le juge de la mise en état n’avait pas demandé :

« conclusions des parties (problème compétence ) » (sic bulletin)

Les défendeurs ont fait observer qu’ayant déjà répondu sur le fond, sans jamais avoir soulevé cette question, ils ne pouvaient plus le faire à ce stade.

Tous ont donc conclu sur l’incident en s’en rapportant, excepté la Compagnie du dossier n°3 qui a longuement disserté sur ce thème.

Incohérence n°3 :

Plutôt que de rendre les trois décisions en même temps, même si elles n’ont pas été plaidées à la même audience, le juge de la mise en état a rendu dans un 1er temps une première ordonnance :

Ordonnance TGI BOBIGNY du 27 novembre 2007 M.G/EFS: DOSSIER N°3

puis deux ordonnances du

28 février 2008 : Ordonnance TGI BOBIGNY du 28 février 2008 M.P/EFS: DOSSIER N°1 & Ordonnance TGI BOBIGNY du 28 février 2008  M.D/EFS : DOSSIER N°2

Incohérence n°4 et stupeur :

Si le résultat de l’ordonnance de novembre 2007 ne faisait malheureusement pas de doute, le magistrat nous ayant clairement fait sentir que ce contentieux n’avait rien à faire devant lui …

La solution rendue dans le dossier n°1 nous a laissés bouche bée, surtout lorsqu’elle est mise en regard des motifs du dossier n°2.

Ainsi dans le dossier n°1, le Tribunal se déclare compétent aux motifs :

“En l’espèce à la suite du rejet de sa requête en indemnisation par jugement du Tribunal administratif de Paris du 9 avril 2002, M. 1 a saisi le Président du Tribunal de grande instance de Paris statuant en référé d’une demande d’indemnité provisionnelle par assignation délivrée le 12 aout 2003 ;

Que par ordonnance de référé rendue le 24 octobre 2003, le Président du Tribunal de grande instance de Paris a alloué à M.1 une provision de 30 000 euros à valoir sur son préjudice ;

Attendu que les parties ne discutent pas qu’en considération de ces éléments, la juridiction judiciaire doit être considérée comme ayant été saisie par M.1 d’une demande d’indemnisation antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er septembre 2005 ainsi que l’a estimé la Cour administrative d’appel de Paris dans son arrêt du 14 décembre 2005 ;

Que dès lors, ce Tribunal est comptent pour statuer sur cette demande d’indemnisation par application des dispositions de l’article 15 de cette ordonnance ;”


Dans le dossier n°2, le Tribunal se déclare incompétent aux motifs :

“Attendu que la dérogation de compétence prévue par l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005 au profit des juridictions judiciaires est nécessairement subordonnée à l’existence d’une instance au fond pendante devant celles-ci  à la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance, l’ordonnance de référé n’ayant pas au principal, l’autorité de la chose jugée par application de l’article 488 du code de procédure civile ;

Attendu à titre surabondant qu’à supposer même que l’instance en référé puisse caractériser la saisine de la juridiction judiciaire au sens de l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005, force est de constater en l’espèce que le juge judiciaire n’était saisi d’aucune demande d’indemnisation de M. 2 au 3 septembre 2005, date d’entrée en vigueur de cette ordonnance, le juge des référés ayant épuisé sa saisine par son d’ordonnance rendue le 22 novembre 2002 et le juge du fond n’ayant été saisi que par assignation délivrée les 23,24,25 et 30 octobre 2006 ;

Attendu par conséquent qu’il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis de la Cour de cassation, de déclarer ce Tribunal incompétent pour statuer sur l’action en responsabilité intentée par M. 2 à l’encontre de l’Établissement Français du sang au profit de la juridiction administrative et de renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront de ce chef.”


Dans le dossier n°3, le Tribunal se déclare incompétent aux motifs :

“Attendu que la dérogation de compétence prévue par l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005 au profit des juridictions judiciaires est nécessairement subordonnée à l’existence d’une instance au fond pendante devant celles-ci  à la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance, l’ordonnance de référé n’ayant pas au principal, l’autorité de la chose jugée par application de l’article 488 du code de procédure civile ;

Attendu à titre surabondant qu’à supposer même que l’instance en référé puisse caractériser la saisine de la juridiction judiciaire au sens de l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005, force est de constater en l’espèce que le juge judiciaire n’était saisi d’aucune demande d’indemnisation de M. 3 au 3 septembre 2005, date d’entrée en vigueur de cette ordonnance, le juge des référés ayant épuisé sa saisine par son d’ordonnance rendue le 29 octobre 2004 et le juge du fond n’ayant été saisi que par assignations délivrées les 20,21,22,26 et 28 décembre 2006 ;

Attendu par conséquent qu’il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis de la Cour de cassation, de déclarer ce Tribunal incompétent pour statuer sur l’action en responsabilité intentée par M. 3 à l’encontre de l’Établissement Français du sang au profit de la juridiction administrative et de renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront.”

Je laisse les lecteurs juges de cette incohérente in/compétence, tout en leur précisant que derrières des motivations péremptoires et paradoxales, il y a des victimes dont le droit à indemnisation ne fait AUCUN DOUTE. Ces victimes devront attendre, combien de temps ? Nul ne peut le dire, qu’un juge accepte d’examiner leur cas.

S’il ne fallait voir là qu’un simple jonglage de concepts juridiques, je ne serais guère choquée. Mais les concepts juridiques doivent avant tout servir la cause des justiciables dont le temps de VIE est compté.

 

Par Florence BOYER